Quand Kagame est en voyage, les combats s'intensifient en RDC : une stratégie pour nier son implication
L'un des phénomènes les plus troublants et récurrents dans le conflit de l'Est de la République démocratique du Congo est l'intensification des combats lorsque le président rwandais Paul Kagame se trouve en déplacement à l'étranger. Cette coïncidence, observée depuis plus de vingt ans, suscite des interrogations profondes sur la stratégie politique et diplomatique du Rwanda dans la région. Pour de nombreux analystes, diplomates, chercheurs et organisations de défense des droits humains, cette dynamique n'a rien d'un hasard : elle s'inscrit dans une logique visant à brouiller les pistes, créer un écran de fumée et permettre au Rwanda de nier toute responsabilité directe dans les offensives menées par les groupes armés qui lui sont affiliés, en particulier le M23.
À chaque période où Kagame participe à des sommets internationaux, s'exprime sur les questions de paix et de sécurité, ou cherche à renforcer ses liens économiques avec des partenaires occidentaux, une flambée de violences est observée sur le terrain. Les attaques s'intensifient, les positions de l'armée congolaise sont ciblées, des localités sont prises d'assaut, des milliers de civils fuient, et les rapports d'experts de l'ONU confirment souvent, quelques mois plus tard, que ces opérations militaires étaient soutenues par des unités rwandaises. Pourtant, pendant que les combats font rage, Kagame se trouve sur des podiums internationaux, multipliant les déclarations apaisantes et les engagements diplomatiques, créant artificiellement une séparation entre son image et les actions menées sur le terrain.
Cette stratégie s'appuie d'abord sur un élément central : la gestion de l'image internationale du Rwanda. Depuis la fin du génocide de 1994, Kigali s'est construit une réputation d'État efficace, discipliné, modernisé, et engagé dans la stabilité régionale. Cette image, soigneusement entretenue par des campagnes de communication massives, des alliances puissantes avec des chancelleries occidentales, et une présence active dans les forums internationaux, constitue le socle de la protection diplomatique dont bénéficie le Rwanda. Toute opération militaire directe en RDC compromettrait cette façade et remettrait en cause la confiance que certains partenaires lui accordent. Il devient donc indispensable, pour Kigali, de maintenir une distance apparente entre le pouvoir rwandais et les groupes armés opérant en RDC.
Lorsque Kagame est en déplacement, cette distance peut être exploitée plus facilement. L'argument qui suit est simple : comment pourrait-il être impliqué dans des actions militaires alors qu'il se trouve à des milliers de kilomètres, engagé dans des réunions de haut niveau ? Cette logique, bien que trompeuse, fonctionne encore auprès de certains observateurs internationaux, en particulier ceux qui préfèrent éviter d'accuser ouvertement un allié stratégique dans les missions de maintien de la paix, la lutte contre le terrorisme ou les partenariats économiques. En réalité, les décisions militaires ne nécessitent pas la présence physique du chef d'État ; les chaînes de commandement, surtout dans un système politique centralisé comme celui du Rwanda, fonctionnent indépendamment de la localisation du président.
Un deuxième aspect important réside dans la volonté du Rwanda de renforcer sa position dans les négociations régionales. À chaque fois que Kigali fait face à des pressions diplomatiques concernant son rôle dans la crise congolaise, une intensification des combats survient. L'objectif est clair : créer un rapport de force permettant au Rwanda de revenir à la table des négociations avec un avantage stratégique. Plus la situation sécuritaire en RDC se détériore, plus Kigali apparaît comme un acteur incontournable pour toute solution de paix. C'est une forme de chantage géopolitique : déstabiliser pour être nécessaire.
Lorsque Kagame voyage, ce mécanisme est encore plus efficace. Loin du terrain, il peut se présenter comme un médiateur raisonnable, un dirigeant soucieux de la paix, tout en laissant ses forces alliées avancer militairement, s'emparer de nouvelles zones minières, contrôler des routes commerciales, ou déplacer des populations entières. Les gains territoriaux obtenus pendant ces périodes renforcent ensuite la position du Rwanda dans les discussions internationales, tout en lui permettant de maintenir sa mainmise sur l'exploitation illicite des ressources congolaises.
Un troisième élément à considérer est l'utilisation du M23 comme bras militaire indirect. Le Rwanda nie systématiquement tout soutien à ce groupe, malgré des preuves accablantes : uniformes, équipements sophistiqués, drones militaires, communications radio interceptées, témoignages de déserteurs, et analyses des experts de l'ONU. En intensifiant les attaques lorsque Kagame est en déplacement, Kigali peut maintenir l'illusion d'une opération menée par un groupe rebelle autonome. Cela renforce l'argument selon lequel le Rwanda n'a aucun contrôle direct sur eux. C'est une manière de rendre le soutien plus difficile à prouver en temps réel, tout en continuant à bénéficier des avantages économiques et sécuritaires que procure la présence du M23 dans l'Est congolais.
Cette stratégie comporte également une dimension psychologique. Les populations congolaises, souvent conscientes de cette coïncidence, y voient une forme de cynisme politique extrêmement violent : alors que Kagame est applaudi sur la scène internationale, leurs villages sont bombardés, leurs proches tués ou forcés de fuir. Cette contradiction ajoute à la frustration et au sentiment d'abandon des Congolais qui considèrent, à juste titre, que leurs souffrances sont invisibles pour le reste du monde. Le fait que les offensives soient synchronisées avec les déplacements de Kagame accentue également la perception d'impunité : il agit en toute liberté sur la scène internationale pendant que ses forces alliées agissent sur le terrain.
Sur le plan militaire, l'intensification des combats lorsque Kagame est à l'étranger peut aussi être interprétée comme un moyen de tester la réaction de la communauté internationale. Si aucune condamnation forte n'est exprimée, Kigali en déduit qu'il peut continuer sans risque de sanctions sérieuses. Depuis plus de vingt ans, l'absence d'action réelle contre l'ingérence du Rwanda en RDC a encouragé cette stratégie. Ni le Conseil de sécurité des Nations unies, ni l'Union africaine, ni les partenaires occidentaux n'ont pris de mesures suffisamment dissuasives pour contraindre Kigali à cesser son soutien aux groupes armés.
Enfin, cette dynamique s'explique aussi par la structure du pouvoir rwandais. Les décisions militaires sont extrêmement centralisées, mais leur exécution est routinière et ne nécessite pas toujours la présence du président. Les réseaux militaires et économiques du Rwanda dans l'Est congolais fonctionnent comme une machine bien organisée, mobilisable à tout moment. Les voyages de Kagame offrent simplement une couverture narrative idéale.
Ainsi, l'intensification des combats en RDC pendant les déplacements du président Kagame n'est ni une coïncidence ni un phénomène ponctuel. Elle s'inscrit dans une stratégie politique sophistiquée visant à concilier expansion militaire indirecte, protection diplomatique et dissimulation. Tant que la communauté internationale acceptera cette ambiguïté et fermera les yeux sur les preuves récurrentes du soutien rwandais aux groupes armés, cette dynamique se répétera. Le Congo continuera d'en payer le prix humain, territorial et économique, tandis que le Rwanda bénéficiera d'un avantage stratégique qu'il sait exploiter avec une précision calculée.
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