Mission de Casques bleus : le bouclier rwandais contre les sanctions pour ses massacres à l'Est !
Alors que les preuves de son intervention à l'est de la République démocratique du Congo s'accumulent, le Rwanda échappe à toute sanction d'ampleur. Une partie de l'explication se niche dans le déploiement massif de soldats rwandais sous bannière onusienne ou dans le cadre d'accords de coopération militaire, un puissant levier d'influence utilisé par Kigali pour faire pression sur la communauté internationale et s'offrir de juteux débouchés économiques.
est une note confidentielle datée de mai 2022 et qui contient des informations explosives. Elle porte l'inscription « Entrée des militaires de la RDF [Rwanda Defence Force, l'armée rwandaise, ndlr] sur le sol congolais ». Une dizaine de personnes seulement y aurait eu accès. Et désormais Forbidden Stories et ses partenaires, dans le cadre du projet « Rwanda Classified ».
Produite par la Monusco, la mission de l'Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (RDC), cette note interne évoque « l'entrée des troupes RDF (rwandaises) en RDC » et leurs opérations sur le territoire congolais en mai 2022. Une avancée « considérer (sic) comme une invasion contre la RDC ». Et pourtant, très peu de sanctions internationales ont suivi cette note ou les nombreux rapports des experts de l'ONU sur le sujet. Pire encore, un des hauts gradés rwandais directement désigné comme ayant dirigé une des attaques contre les forces congolaises, le major général Alexis Kagame, a depuis pris la tête… d'une force de sécurisation au Mozambique. Aussi surprenant que cela puisse paraître, ces deux éléments se révèlent intimement liés.
Le Major General Alex Kagame prend la tête du commandement de la force opérationnelle interarmées au Mozambique, 04 août 2023. (Crédit : Ministère de la Défense du Rwanda)
« Le Rwanda utilise le maintien de la paix comme moyen de pression »
Le Rwanda est actuellement le troisième plus gros contributeur du monde aux missions de maintien de la paix des Nations unies. Sans compter ses interventions via des accords bilatéraux avec des États africains, en République centrafricaine, au Mozambique et bientôt au Bénin. En janvier 2024, près de 6000 citoyens rwandais étaient déployés comme Casques bleus.
« Les Rwandais ont compris que le système international était vraiment fragmenté. Ils peuvent amoindrir les critiques du groupe d'experts de l'ONU sur la RDC parce qu'ils savent que l'estime [qui leur est accordée] tient à leur contribution au maintien de la paix. C'est ça que l'ONU veut vraiment, expose Phil Clark, chercheur à l'École des études orientales et africaines (SOAS) de Londres. Les experts espèrent une série de sanctions, mais cela n'arrive jamais. Le Rwanda utilise le maintien de la paix comme moyen de pression. »
Il n'y a qu'à voir le cas d'Alexis Kagame. Après la note interne de la Monusco, son nom apparaît en décembre 2022 dans un rapport de l'ONU relatant son implication en République démocratique du Congo. Au printemps 2023, d'après une source diplomatique, Alexis Kagame – parfois nommé Alex Kagame – aurait fait partie d'une liste d'officiers rwandais à sanctionner que des États membres de l'Union européenne auraient tenté d'établir en réponse à l'implication du Rwanda dans le conflit en RDC.
Le 5 juin 2023, le major général devient pourtant commandant de la force opérationnelle interarmées au Mozambique. Là-bas, l'armée rwandaise soutient la défense mozambicaine contre l'insurrection dans la région du Cabo Delgado – où l'entreprise française Total a investi près de quatre milliards d'euros dans un projet gazier. L'opération de maintien de la paix a été en partie financée par l'Union européenne en 2023, à hauteur de 20 millions d'euros. D'après une source diplomatique, le renouvellement de ce financement fait aujourd'hui débat au sein de l'UE, en raison notamment de la présence d'Alexis Kagame à la tête du contingent.
Eugene Gasana, ancien ambassadeur du Rwanda aux Nations unies
« Le programme de maintien de la paix du Rwanda est très, très vital pour le régime. Il lui donne de la crédibilité et le rend indispensable », analyse pour Forbidden Stories Eugene Gasana, ancien ambassadeur du Rwanda aux Nations unies, en rupture avec Kigali. Pour ce fin connaisseur des stratégies diplomatiques rwandaises, ces missions constituent une « munition » pour le régime qui, confronté au risque de sanctions internationales, use d'une parade immuable : « Menaçons-les de retirer les forces de maintien de la paix. » « Paul Kagame utilisera toujours cette carte s'il a un problème avec l'ONU », continue-t-il, comparant même les soldats déployés à des « mercenaires ». Interrogé, un porte-parole des Nations Unies pour le maintien de la paix rappelle simplement que les troupes de ces missions proviennent de 120 pays différents et qu'aucun de ces pays contributeurs « ne peut à lui seul compromettre de manière crédible la viabilité à long terme les opérations de maintien de la paix ».
Usage trouble des financements de l'ONU
Lorsqu'un pays fournit des troupes aux forces onusiennes, il reçoit 1 428 dollars par soldat et par mois. Mais aucun mécanisme de contrôle n'existe pour vérifier que les soldats perçoivent bel et bien cet argent – qui ne constitue pas directement un salaire, selon ce même porte parole de l'ONU pour le maintien de la paix : « Comme que le remboursement vise à compenser les dépenses encourues par les gouvernements, les [pays contributeurs] peuvent choisir la manière dont ils souhaitent utiliser les fonds, sur la base de leurs processus nationaux. Ils ont la responsabilité de rémunérer le personnel qu'ils déploient en tant que soldats de la paix en uniforme dans le cadre de nos opérations. » « En 2009, j'ai publié un article sur des soldats qui ne recevaient pas l'argent qu'ils étaient censés toucher », raconte Didas Gasana, ancien rédacteur en chef de l'hebdomadaire Umuseso, qui a fini par quitter le Rwanda après plusieurs condamnations en justice. « Cette histoire a nourri la colère de l'État à notre encontre », affirme-t-il.
« L'ONU envoie l'argent au Rwanda, ça représente des centaines de millions. Nous nous sommes fait beaucoup d'argent à l'époque ! s'exclame Eugene Gasana, l'ancien ambassadeur à l'ONU. L'argent était transféré au gouvernement du Rwanda. Ils l'envoient au ministère des finances, qui le récupère et le remet au ministère de la défense, qui l'utilise comme il l'entend. Et je ne pense pas que les soldats reçoivent l'intégralité de leur salaire. Pas du tout. »
Interrogé, un ancien militaire ayant participé à une mission de maintien de la paix au Soudan en 2008 confirme n'avoir touché que la moitié des quelque mille dollars versés à l'époque au Rwanda. « L'ONU n'a pas connaissance du mécanisme de paiement des soldats rwandais, car il s'agit d'une décision nationale », répond un porte-parole des Nations Unies pour le maintien de la paix.
Investissements abondants et intimidation des dissidents
Selon une source diplomatique européenne, l'engagement militaire conséquent du Rwanda repose également sur le verrouillage du pays, où l'opinion publique ne peut que difficilement dénoncer les pertes humaines. Ce d'autant plus que ces opérations militaires ouvrent au pays des débouchés économiques avantageux. « Un modèle se dessine, détaille Phil Clark. Le Rwanda commence par conclure un accord de maintien de la paix, passe un an à rétablir le calme, puis utilise cette base pour obtenir de nombreux contrats. »
C'est ici qu'entre en scène le fonds d'investissement Crystal Ventures, détenu par le Front patriotique rwandais (FPR), le parti au pouvoir au Rwanda. Le magazine Jeune Afrique relève ainsi qu'en Centrafrique, où Kigali fournit des Casques bleus à la Minusca et intervient dans le cadre d'un accord bilatéral, Crystal Ventures a investi dans des infrastructures et des mines, tout comme au Mozambique, où la holding a multiplié les investissement dans les secteurs minier et de la sécurité privée.
Au Mozambique, le déploiement de soldats rwandais a par ailleurs intensifié la terreur pesant sur les dissidents exilés En octobre 2023, un rapport de Human Rights Watch documente ainsi « deux tentatives d'enlèvement de Rwandais ayant eu lieu dans la région de Maputo depuis l'arrivée des troupes rwandaises au Mozambique en juillet 2021 ». « La présence des troupes rwandaises au Mozambique a suscité la peur au sein de la communauté et a coïncidé avec une augmentation des violations des droits de l'homme à l'encontre de la communauté des réfugiés », s'alarme l'ONG. Malheureusement pour eux, Alexis Kagame ne semble pas près de quitter ce pays où, officiellement, il se consacre au retour de la paix.
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